Gauthier est un adolescent en classe de terminale dans un lycée catholique. Je reçois Gauthier en urgence après un appel de son père. Il est en détresse. La veille, il a contacté son amie via Facebook pour lui dire qu’il voulait mourir. Il a préparé une lettre pour ses parents dans laquelle il prévient qu’il va mettre fin à ses jours mais ne leur donne pas.
Dès le lendemain au lycée. L’amie alerte le groupe. Ensemble, ils accompagnent Gauthier à l’infirmerie. L’infirmière reçoit le père, elle recommande d’aller aux urgences pour calmer l’angoisse de Gauthier avec un traitement médicamenteux puis de consulter un psychologue.
Gauthier raconte : “hier, j’ai découvert une série « 13 reasons why » l’histoire parle du suicide d’une adolescente, on voit tout ce qu’il la pousse ne plus vouloir vivre, je me suis reconnu en elle, j’ai la même souffrance, j’ai pété un câble, j’ai pleuré sans pouvoir m’arrêter, sans pouvoir me calmer”.
Il n’est pas passé à l’acte, il espérait que ses parents et ses amis lui portent secours. Je lui propose des séances rapprochées et la possibilité d’envoyer des textos dans les moments d’angoisse.
Gauthier a bientôt 18 ans. Il est prisonnier de sa souffrance, il peine à s’exprimer, je lui pose des questions, je lui donne des hypothèses de réponses qu’il choisit. Pendant les premières séances, sa posture est figée, il coince ses mains sous ses jambes. Je ressens l’inertie dans lequel il se vit, il est passif, il regarde le sol.
Je trouve un moyen d’expression dans lequel il est libre et à l’aise, Gauthier fait de la danse contemporaine, il est doué pour cet art centré sur l’éprouvé. Grace à l’hypnose, il se connecte à son éprouvé. Son corps se détend sauf une zone, qui concentre la raideur de la douleur psychique, un gros nœud dans le ventre. La zone de tension envoie une image qu’il peut décrire : ”je suis en prison, enfermé, je n’ai pas d’issue, je sors la main des barreaux mais il n’y a personne. Je suis foutu ».
Gauthier se sent condamné dans son isolement.
Dans sa vie, il aimerait communiquer avec ses parents, ses amis, il se sent seul même entouré physiquement, « je ne suis pas intéressant, je suis nul, les autres arrivent à rire, à faire des blagues, avec moi ils sont froids et moi je m’efface » il oscille entre des grandes périodes de repli dans sa chambre et des crises clastiques, il décharge sa colère en cassant son portable ou fait des crises de jalousie à son copain. Ce qu’il désire plus que tout, c’est d’être compris, aimé.
Dès l’entrée au collège, il subit les railleries des autres enfants parce qu’il aime la danse et qu’il est attiré par les garçons. Gauthier se trouve docile et préfère la compagnie des filles. Il veut avoir le courage d’assumer sa différence, mais espère dans son for intérieur que sa différence soit acceptée et comprise par les autres.
En classe de 4eme cet espoir se brise.
Ce n’est pas la compréhension qu’il trouve auprès de ses pairs mais le harcèlement. En prenant la défense d’une camarade humiliée quotidiennement par un groupe de 4 jeunes, il est à son tour victime : frappé, racketté, rabaissé, insulté pendant plusieurs mois. Il ne peut pas se défendre. Les autres élevés sont témoins mais restent indifférents.
L’intensité et la répétition des persécutions lui donnent la croyance d’avoir aucune valeur et de mériter les mauvais traitements.
Malgré le décrochage scolaire constaté dans les bulletins, le collège ne s’alarme pas.
Les parents ne voient pas la souffrance de Gauthier, ils sont sollicités par sa sœur qui traverse des difficultés et Gauthier ne veut pas les accabler avec son harcèlement scolaire. De plus, il trouve sa sœur est plus proche de ses parents parce qu’ils partagent ensemble un intérêt pour la musique.
Face à son impuissance, il se repli et s’enferme dans son mutisme.
La mère de Gauthier apprend à la fin de l’année scolaire le harcèlement scolaire par la mère de la fille humiliée. Elle change Gauthier d’établissement scolaire.
Il est d’abord soulagé mais son intégration reste pénible à vivre. Il passe de la place de persécuté à la place d’effacé « je m’efface parce que j’ai peur que ça recommence »
Les parents ont confiance en Gauthier, ils voient en lui l’adulte en devenir, autonome et accompli dans la danse. D’une certaine façon, ils veulent restaurer son estime de lui en se focalisant sur ses ressources. Dans cette attitude Gauthier ne se sent pas compris.
L’angoisse d’abandon est omniprésente. Il trouve une justification au harcèlement scolaire et au sentiment d’exclusion du clan amical et familial. Ses mauvaises notes, son incapacité à susciter l’intérêt, son gout pour la danse classique, son homosexualité font de lui une personne aussi différente que décevante.
Il attend d’être compris, que ses amis lui portent secours. Il a tenté de le faire inconsciemment dans son scenario de suicide.
La recherche de compréhension représente en général le besoin de trouver chez l’autre l’appui parental.
Je mets en place un espace thérapeutique contenant et soutenant rappelant le holding du Winnicott pour ne pas laisser Gauthier s’enfermer dans la solitude, particulièrement dangereuse pendant la période de l’adolescence. Le travail en collaboration avec le médecin traitant sécurise Gauthier, nous représentons respectivement une figure maternelle et paternelle pour lui. Ses parents s’impliquent en participant à des séances et en communiquant les évènements importants par téléphone. Je lui confie la lecture d’un témoignage d’une adolescente harcelée pour l’aider à mettre des mots sur ses émotions.
J’encourage Gauthier à lâcher sa recherche de compréhension auprès de ses pairs pour laisser la place à d’autres partages.
Le partage augmente la joie et diminue la tristesse.
Gauthier redouble son année de 1ère mais va mieux, il recommence à sortir.
Il sait que les échanges avec les autres est la meilleure façon de se sentir mieux. Avec la danse, il a trouvé sa place dans le partage d’une passion commune.
Après l’été, Gauthier ne reprend pas les séances. Au mois de novembre, son père me contacte “Gauthier va très mal, il fait des crises, il a quitté son petit copain mais regrette et ne le supporte pas ». Les parents sont soulagés qu’il ne fréquente plus son petit ami « la relation était toxique et notre fils était tout le temps malheureux avec lui »
Cet évènement replonge Gauthier dans les affres de l’abandon. Cette fois, il n’est pas seul et la thérapie va lui donner la possibilité se sortir de son impuissance.
Il reprend les séances. Il vient avec une lettre écrite par son ex petit ami ou celui-ci exprime sa haine d’avoir été quitté et réduit la relation à une tentative de manipulation. Gauthier doute, il pense qu’il est ce monstre dépeint par son ami. Il raconte « quand j’ai rompu, mon copain m’a dit qu’il voulait mourir, j’ai prévenu son père pour l’en empêcher et le protéger, il a fugué, je sais qu’il a tout quitté, il est parti rejoindre sa mère avec laquelle il ne s’entend pas » Gauthier comprend que son copain vit la rupture comme un arrachement et culpabilise. « Je détruis et je me détruis ». Il voit que son copain vit l’abandon, comme lui auparavant, il regrette la séparation et ressent à son tour l’abandon puisque son copain le rejette, s’est éloigné et refuse tout contact.
Au départ, dans sa décision de rupture, Gauthier exprimait le désir de se libérer de son angoisse d’abandon. Il vivait en permanence dans la menace avec son copain déclenchant des accès de colère et des scènes de jalousie. Jouant à tour de rôle au manipulateur et au manipulé, les deux protagonistes soufrent du même mal : la peur incontrôlée d’être quitté et le désir absolu d’être aimé par l’autre”.
En voulant quitter cette part abandonnique qui l’emprisonne, il la vit une nouvelle fois avec son copain. Mais cet effet boomerang ouvre sa conscience, il perçoit à travers la réaction de son copain le masochisme affectif qui l’avait fait sombrer : Il s’abandonne dans l’espoir d’être sauvé et le désespoir d’être oublié.
Il comprend, contrairement à son ami, qu’il ne veut pas rejeter cette relation, son copain reste son premier amour et veut garder le souvenir.
En verbalisant les sentiments qui le traversent, il transforme l’expérience d’abandon en séparation supportable.
Il agit sur sa vie, il participe à un concours de danse hiphop, il rencontre ses semblables : Des garçons et des filles de son âge qui partagent une danse de sa génération, dans un milieu ouvert, dans un langage commun. Pas besoin de compréhension, le sentiment d’appartenance au groupe suffit à se connaitre et se reconnaitre.
Il reprend son processus de construction de l’identité de l’adolescent que l’angoisse d’abandon avait paralysé.
Sa chorégraphe lui propose un contrat pour devenir professionnel dans la compagnie de danse. Heureux de cette reconnaissance, il se rappelle de l’attitude de ses parents à son égard : la confiance en son devenir de danseur. Il retrouve suffisamment de motivation pour préparer son bac de français, il a choisi une filière littéraire, un moyen de sublimer sa sensibilité artistique, c’est sa façon de s’exprimer, il en est fier.